En exclusivité pour le blog de L’Express La Lumière, le Grand Maître d’Honneur Claude CHARBONNIAUD lance un cri d’alarme au moment où la crise de la Grande Loge Nationale française (GLNF) n’a jamais été aussi vive. Celui qui a consacré plus d’un demi-siècle à l’obédience restait muré dans le silence. Il donne désormais de la voix en demandant avec force le départ du Grand Maître François Stifani. L’ancien préfet était plutôt habitué au langage diplomatique. Il met désormais publiquement les points sur les i en déclarant qu’il avait désapprouvé l’accession de François Stifani à la Grande Maîtrise. Celui qui ne parait pas, loin s’en faut, ses 86 printemps, entre en rébellion contre le Grand Maître pour un motif principal : la rupture avec la Grande Loge Mère, celle d’Angleterre. INTERVIEW
Pourquoi acceptez-vous maintenant de prendre publiquement la parole et ce pour la première fois ?
Je le fais, car je ne peux garder le silence devant l’évolution de la crise. J’avais déjà eu l’occasion, de déclarer que notre appartenance à la Maçonnerie Régulière était une donnée fondamentale de l’existence même de notre obédience. Il ne pouvait être question de ne pas en respecter intégralement les exigences.
Plusieurs Grandes Loges Européennes ont tiré le signal d’alarme, et nous devons admettre aujourd’hui la possibilité sinon la probabilité du retrait de notre reconnaissance en qualité de Grande Loge Régulière. La circonstance aggravante étant bien entendu, la suspension envisagée et annoncée par la Grande Loge Unie d’Angleterre que nous considérons toujours historiquement à cet égard comme la Grande Loge Mère.
Pour ce qui concerne ma position, je réponds clairement que je cesserais d’appartenir à une Grande Loge non reconnue par la famille des Grandes Loges Régulières.
Avez-vous approuvé Jean-Charles Foellner lorsqu’en 2007 il a promu François Stifani pour le remplacer à la Grande Maîtrise ?
J’ai désapprouvé ce projet lorsque j’en ai eu connaissance, ma position était connue. C’était une question de principe et cela ne tenait pas à la personne de François Stifani, que je connaissais peu à l’époque.
Mais, après tout, il appartenait au bénéficiaire du parrainage de démontrer que Jean-Charles Foellner avait eu raison de faire ce choix. Ce ne fut malheureusement pas le cas.
N’y a-t-il pas à la GLNF un vice structurel dans la désignation du candidat à la Grande Maîtrise par le Souverain Grand Comité (SGC) ?
Il est certain que les règles de désignation des membres du Souverain Grand Comité par le Grand Maître et de son fonctionnement sont à revoir. La situation actuelle le démontre. Qui pourrait se porter garant de la fiabilité du vote capital prévu pour la désignation du candidat à la Grande Maîtrise ? Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y aura des doutes quant aux résultats, au moment où de nouveaux Grands Officiers Nationaux sont nommés devenant de ce fait membres du Souverain Grand Comité.
Comment expliquez-vous les dérives du Grand Maître telles qu’elles sont dénoncées par les opposants ?
Il n’y a pas d’explications à ces dérives. Personne ne pouvait les prévoir. Je pense, pour avoir exercé les fonctions de Grand Maître pendant dix ans, que François Stifani a été surpris et transformé par la découverte de l’importance de la fonction et des responsabilités. L’étendue des pouvoirs et les Honneurs rendus au Chef de l’Ordre peuvent faire des ravages. Certains tempéraments ambitieux résistent mal à cette épreuve et cela se ressent très vite dans le style de gouvernement qui peut devenir insupportable.
Un autre danger menaçait François Stifani dans sa gouvernance, celui de mal accepter les contraintes inhérentes à nos règles qui interdisent toute participation es qualité à des discussions de caractère politique ou religieux. D’où sa décision de le faire cependant sous une forme atténuée en intervenant sur les problèmes « sociétaux », ce qui constitue pourtant une violation de nos principes.
Les liens entre la GLNF et certains Etats africains expliquent-ils en partie la volonté de François Stifani de rester en poste ?
Non je ne le crois pas. Son titre de Grand Maître lui permet d’avoir une proximité avec des Hommes de Pouvoir. Personne n’est complètement insensible à la fréquentation des Hauts responsables, a fortiori quand ils sont à la fois Chef d’Etat et Grand Maître et partagent par définition avec nous les mêmes valeurs spirituelles et le goût de la fraternité.
Souhaitez-vous le départ de François Stifani en tant que Grand Maître ?
Oui ‑je le déclare sans hésiter‑ car je pense que sa présence fera obstacle à l’aboutissement de toute tentative de réconciliation et de remise en ordre. Une gouvernance s’apprécie aux résultats, lesquels sont déplorables, désordre à l’intérieur, proche de la désintégration, rejet à l’extérieur avec menace sérieuse de retrait de la reconnaissance.
Comment vivez-vous cette situation d’interminable crise ?
Ai-je besoin de dire que je le vis très mal, partageant entièrement la déception et l’angoisse des frères. Je ne voudrais pas terminer ma vie Maçonnique sur cet échec et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider à la renaissance de notre Grande Loge.
Après le départ de Jean-Claude Tardivat, démissionnerez-vous aussi de la GLNF ?
Non, c’est hors de question. Même si j’approuve tous les termes de la lettre de démission de Jean Claude Tardivat, qui fut l’un de mes très proches collaborateurs dont j’appréciais les conseils et l’action pour le gouvernement de l’Ordre et les relations internationales.